Dans Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, Haruki Murakami raconte le parcours laborieux et quotidien d’un écrivain-coureur. Sans paillette, le plus grand écrivain japonais de notre époque livre avec beaucoup de sincérité et de générosité les leçons de vie qu’il a apprises littéralement à la sueur de son front, et ont fait de lui l’écrivain à succès qu’il est aujourd’hui.
Il commence sa vie de coureur à peu près en même temps que sa vie d’écrivain, lorsqu’il a 30 ans. Cela lui permet de dresser des parallèles entre les deux activités qui se sont mises progressivement à structurer ses habitudes de vie.
Qu’est-ce qu’une vie banale ?
Haruki Murakami commence son livre avec une mise en garde : que celui qui s’attend à du sensationnel passe son chemin. Sa vie, serait de celle qui serait coupée au montage d’un film sur les écrivains de tous les temps: pas inintéressante mais trop banale (sic).
Dans sa grande humilité, Haruki Murakami se décrit comme quelqu’un de laborieux, pas de talentueux. Il est difficile pour son métabolisme de rester mince, comme il est difficile pour son stylo de former des histoires. C’est pourquoi il a appris, page après page à raconter des histoires, et kilomètre après kilomètre à se forger un corps.
Pour lui, la valeur de son existence réside justement dans sa grande banalité.
Au contraire de l’écrivain talentueux, ou de celui qui est mince naturellement, Haruki Murakami a eu besoin de se créer une discipline et, à la sueur de son front, aller chercher la santé et le succès.
Ses qualités d’observateur de sa vie, sa persévérance, sa faculté à se remettre en question et à livrer tout ce qu’il a au lecteur, lui permettent, comme tous les grands artistes, de transcender sa vie: exprimer le particulier et toucher l’universel en chacun.
La gratification différée
A l’heure où les sprinters et le sensationnel occupent le haut de l’affiche, Haruki Murakami prend la place moins spectaculaire du coureur de fond. Cette place assumée du besogneux m’a rappelé que c’est la vision à long terme qui structure la vie, qu’elle soit professionnelle ou personnelle.
Durant les nombreuses courses auxquelles il a participé, ce ne sont ni la performance finale, ni le classement qui ont compté mais plutôt le défi personnel qu’elles représentaient. Le fait de faire mieux que le temps précédent. Le fait de terminer la course ou le livre malgré les intempéries et difficultés, comme les 100km de l’ultramarathon sous le soleil brulant d’Athènes durant l’été 1996.
C’est ce qui constitue la vie pour lui, et sa vie d’écrivain, évidemment : chaque jour, s’améliorer, se renouveler, puiser plus profond, chercher les limites, les étendre, essayer de nouvelles choses.
Ce que Haruki Murakami met à l’honneur, c’est l’effort au quotidien : grâce à l’entrainement chaque jour, il dispose d’une base solide pour explorer de nouveaux horizons.
Il pose un jour la question à un coureur professionnel : N’y a-t-il pas des jours où vous avez envie de rester au lit au lieu de courir ? Ce à quoi le professionnel répond : « Evidemment ! Quelle question ! » Il est alors rassuré, lui aussi aimerait bien rester confortablement couché au lit parfois. Mais il chausse tout de même des tennis ! Et prend tout de même son stylo. Chaque jour. Et il en récolte les fruits plus tard. La gratification différée constiste à investir aujourd’hui pour peut-être obtenir demain un résultat, quoique inconnu.
La volonté n’existe pas
Haruki Murakami a commencé à courir à 30 ans. Il fumait alors 1 paquet et demi de cigarette par jour, buvait de l’alcool presque tous les soirs, contractait des maladies occasionnelles, et prenait facilement du poids.
Selon lui, c’est grâce à cette tendance à grossir, qu’il a été obligé de trouver une occupation qui le maintienne en forme. Nos imperfections sont nos plus précieux atouts.
Lorsqu’on le félicite pour sa volonté, il démystifie cette notion peut-être surfaite. Pour lui, la volonté n’a rien à voir avec le fait d’être persévérant et de courir chaque jour. S’il court chaque jour depuis vingt ans, c’est simplement parce qu’il a trouvé une activité qui lui convient. La course à pied n’est certainement pas bonne pour tout le monde. Mais pour lui, oui.
Nos imperfections sont nos plus précieux atouts. Nous sommes tous différents, nous avons peut-être trop tendance à l’oublier.
Ce que nous apprend Haruki Murakami, c’est que nous devons
– nous analyser,
– nous accepter tel que nous sommes,
– apprendre empiriquement à traiter nos différences,
– mettre sur pied un programme personnel et agir en conséquence.
Il n’existe pas de « One size fits all » dans aucun domaine de la vie : régime alimentaire, habitude de vie, emploi, activités, etc. Il s’agit d’expérimenter sur soi puis adapter nos attitudes et habitudes aux résultats des expériences. Souvent nous donnons la responsabilité de notre propre bien-être aux médecins, thérapeutes, astrologues, et coachs en tous genres alors que nous devrions être nos propres coachs.
C’est pourquoi les régimes et programmes prédigérés ne fonctionnent que pour très peu de monde, justement ceux-là qui auront la même constitution que l’auteur de la méthode X.
Ce que nous apprend Haruki Murakami, c’est que nous devons accepter d’être différents. Nous devons découvrir qui nous sommes et créer des habitudes qui nous conviennent.
Si banal signifie « qui est commun, à la disposition de tout le monde » , cela ne signifie pas que tout le monde utilise ce qui est à sa disposition. L’autocritique et la capacité de décision peuvent permettre de tirer profit de nos forces et nos faiblesses. Grâce à une démarche empirique, en acceptant la banalité de notre nature, nous pourrons parvenir à la transcender. Il n’y a plus qu’à !
🙏
Article écrit par Magali Defleur, écrivain et formatrice, 2017
Un commentaire sur “Haruki Murakami, Anti-héros extraordinaire”